Un mouvement dans l'ombre trahit la présence d'une autre personne. La lumière des écrans fait rayonner deux yeux verdoyants, fixés sur l'humain. Puis, voyant que celui-ci reste silencieux, le dénommé Fox demande:

Du café en attendant, Monsieur Joachim?

Volontiers!

Joachim acquiesce, souriant en reportant son attention sur les écrans. Le son d'un liquide fumant se fait entendre. L'homme tend la main pour saisir la tasse de café qu'une patte poilue lui donne. Buvant tranquillement, il suit du regard les points lumineux et ne peut s'empêcher de faire une remarque:

Ils semblent chercher dans le même coin!

C'est qu'ils ont une piste! Ils ne devraient plus trop tarder!

Le silence retombe à nouveau. Mais il est de courte durée, rapidement interrompu par une voix grave provenant de l'un des petits écrans, celui qui suit un certain Ace:

Cible repérée!

Celui qui se cache dans l'obscurité jusqu'alors vient prendre sa place devant les ordinateurs. Il n'a rien d'humain hormis son allure bipède. Son corps entier est parsemé d poil roux, formant une fourrure soyeuse. Une queue bat l'air dans son dos, rattachée à son postérieur. Des oreilles pointues attentives au moindre son ornent le haut de son crâne. Un museau long et fin moucheté de blanc est levé vers les écrans et ses yeux d'émeraude restent fixés sur le point brun. Ce qui ressemblant en tout point à un renard géant vient de s'assoir dans le fauteuil. Il prend le casque-micro sur la table de bord et le met sur sa tête avant d'annoncer aux chasseurs:

Madame, Messieurs, la chasse est ouverte! A l'est de l'église, il a l'air de se diriger vers le sud du village!

Trois voix – dont une féminine – répondent à ce message par un "bien reçu".

Je parie sur Ace!

Le renard tourne la tête vers l'homme et sourit, dévoilant ses crocs. Il répond sur un ton un peu narquois:

Parce qu'il est le premier? Pff… Sky lui coupera la route!

Paris tenu mon p'tit Fox!

De l'autre côté des écrans de contrôle, sur le terrain, les chasseurs se dirigent vers l'endroit où leur cible doit se trouver. Un homme, trente ans d'apparence, fuit à travers les rues sombres du village endormi. A premières vues, il a tout d'un humain, mais ses yeux de sang et ses canines saillantes annoncent d'emblée un vampire. De nombreux sentiments ont abandonné sa dépouille de mort-vivant. Pourtant, un semblant de terreur se lit dans ses prunelles rouge vif. Un regard en arrière lui indique qu'il est toujours suivi, non pas par une ombre comme annoncer au départ mais bien par deux. Un second prédateur a rejoint le premier poursuivant! Ça ne sent pas très bon pour lui… Surtout qu'elles se rapprochent dangereusement de sa personne.
Si son cœur était encore en vie, il battrait à rompre sa poitrine.
Un vampire qui fuit… Quelle ironie alors qu'il s'agit d'une créature qui surpasse de loin l'homme. Mais lui seul sait qu'il est pourchassé par une bête tout aussi monstrueuse et redoutable que ces confrères suceurs de sang. Une morsure bien placée, et il part en fumée!
Il faut fuir, fuit pour sauver sa peau. Il est au courant qu'il est poursuivi par quatre chasseurs… Mais pour l'instant, deux sont à ses trousses. Pour les avoir déjà rencontré et échappé surtout, le vampire est persuadé que les deux autres ne tarderont pas à lui tomber dessus, ce n'est qu'une question de minutes. A peine a-t-il proféré ces pensées que des crocs luisant se referment à l'endroit où s'est tenue sa gorge quelques instants plus tôt.
Si la sangsue n'avait pas bondi sur le côté, elle aurait très certainement fini dans la gueule du monstre. Les mâchoires se claquent sinistrement dans le vide. Un coup d'œil par-dessus son épaule dévoile en loup aux couleurs brunes et de taille démesurée. Si leur rencontre précédente lui laisse que peu de souvenirs agréables, la vue de cette bête immense le fait tressaillir d'effroi, surtout qu'il a en mémoire une taille plus raisonnable de ces animaux. Comme quoi, même les vampires peuvent se tromper…
Connaissant mieux le village et étant plus véloce que costaud, le mort-vivant réussit à les distancer en tournant et retournant dans plusieurs directions jusqu'à aller se dissimuler dans un vieux hangar. Il le traverse de part en part avant de sortir de l'autre côté, dans un cimetière de voitures. Il se cache ensuite dans le ventre d'une semi-remorque à moitié éventré, attendant que la voie soit libre.

Cinq minutes… Dix minutes passent.
Rien en vue… Le suceur de sang se risque en dehors de sa cachette. Il faut filer au plus vite avant d'être à nouveau repéré. Il se faufile entre plusieurs carcasses de voiture, s'arrêtant à chacune d'elles pour vérifier qu'il n'y ait aucun loup dans les parages. Il se déplace furtivement sans se douter qu'il est déjà observé par des yeux bleus opalescents.
Du haut de son perchoir, le dernier loup de la meute le fixe sans bouger un muscle telle une statue de plâtre. Puis, sans aucune raison apparente, la bête saute avec une grâce qu'elle a empruntée au félin. Le loup atterrit sur le capot d'une voiture dans un son métallique, face au vampire. Celui-ci se fige alors que les babines du monstre se retroussent pour dévoiler ses crocs impressionnants. L'espace d'un instant, les deux ennemis mythiques se jaugent. Le premier à abandonner ce duel de regard sera le perdant.
Le vampire a un bref mouvement de recul. Fraction de secondes qui sert au prédateur pour se jeter sur sa proie dans un grognement hargneux, gueule grande ouverte.

Devant les écrans, Joachim sirote tranquillement son café pendant que le renard donne des directives aux chasseurs. Du moins, ceux qui n'ont pas encore leur cible en visuel. Puis les voix se taisent. La patience était désormais de rigueur. Au bout d'un certain temps, une voix féminine se fait entendre clairement:

Cible anéantie!

Un sourire satisfait cingle le visage de Joachim. Il s'approche du micro sur la table de bord et félicite ses chasseurs:

Beau travail! On peut rentrer!

Puis, l'homme se tourne vers le renard, souriant:

Tournée générale de pizzas!

Le canidé sourit à son tour, dévoilant ses crocs dans un rictus amusé.